Gérard Mendel, fondateur de la sociopsychanalyse, fut psychiatre, psychanalyste et écrivain, titre auquel il tenait particulièrement. Directeur de collection[1], il fut le premier à publier Winnicott. Chercheur ouvert à différentes disciplines, il inscrivit chemin faisant sont point de vue à la croisée de la clinique sociologique et psychologique, dans la visée de la construction d’une anthropologie de l’acte. Le grand public le découvrit avec son premier livre théorique : La Révolte contre le père[2], premier texte sociopsychanalytique, texte prémonitoire déposé chez l’éditeur quelques semaines avant le mouvement social de mai 1968. Mendel n’a cessé ensuite, pendant plus de trente-cinq ans, de travailler et de publier sur les enjeux fondamentaux de la société, de son fonctionnement, de son articulation avec le politique comme avec la psychologie. Plus précisément, il étudia les enjeux psychosociaux d’une méconnaissance de la part que prend le social dans la construction de l’identité.
Cohérent avec sa démarche théorique, « praticien plus que patricien » , disait-il , Gérard Mendel a été toujours préoccupé du lien concret avec la réalité du terrain qui seule pour lui validait ses propositions théoriques. Il a ainsi créé des outils de travail collectif qui lui survivent : des groupes de recherche-action – les groupes de sociopsychanalyse- et les fondamentaux d’un dispositif d’intervention institutionnelle participative.
Gérard Mendel a exercé la psychanalyse sa vie durant. Il en a ainsi connu de l’intérieur les irremplaçables pertinences et richesse pour aborder la complexité de problèmes de « l’âme humaine », avec bien entendu le rôle fondamental que Freud attribue à l’inconscient. Mais il en perçut aussi les limites concernant la question du social, ce social volontairement laissé aux portes de l’espace clos du lieu psychanalytique : laissé aux portes, afin que puisse s’opérer pour les patients la nécessaire régression vers l’univers subjectif de leur monde interne, de leur souvenirs, de leurs fantasmes, du déploiement du transfert, «à l’abri» de toute intrusion de la réalité extérieure.
Pour des raisons qu’il a commentées dans Enquête d’une psychanalyste sur lui même[3], Gérard Mendel a ainsi éprouvé parallèlement à son travail d’analyste le besoin de comprendre comment se noue le lien entre le psychisme humain et le contexte sociopolitique dans lequel il se manifeste : ici l’impact de la fonction d’autorité sur certains comportement sociaux, tel celui de gendarmes, jusqu’ alors amis de la famille, venus arrêter pendant la guerre son père juif. Par quels mécanismes pouvait-on ainsi devenir les exécutants soumis d’actes que la conscience personnelle à l’évidence n’approuvait pas ? La seule psychologie individuelle ne pouvait rendre compte de tels événements : les conditions de 1942 appartenait au champ social, leur nature devait être étudiée dans l’ordre du psychosocial; mieux, du sociopsychique, le fait social déterminant pour une part ici le fait psychologique , y compris au niveau de l’inconscient. Ce fut l’origine de son intérêt pour la relation inconsciente à l’autorité et son lien avec le pouvoir, pour repérer les conditions favorables à la persistance de l’autorité dans la vie sociale hors son lieu spécifique, la famille, ainsi qu’aux contextes qui induisent cette forme de « régression du politique au psychofamilial» [4] .Ce repérage rendit possible plus tard la création de dispositifs permettant au contraire d’amoindrir la force de phénomènes d’autorité et de favoriser l’émergence du psychosocial et sa possible appropriation.
Les bases de la sociopsychanalyse étaient posées.
[1] Collections « Sciences de l’homme » chez Payot, « Psychanalyse et société » à la Découverte.
[2] Gérard Mendel, La Révolte contre le père : une introduction à la sociopsychanalyse, op cit.
[3] Gérard Mendel Enquête d’une psychanalyste sur lui-même,Stock, Paris, 1981.
[4] « De la régression du politique au psychofamilial » est un des premiers concepts propres à la sociopsychanalyse, développé dans Sociopsychanalyse ( n° 1, « Petite collection Payot », Paris, 1971) et modifié par la suite en « Régression du psychosocial au psychofamilial » .